Ce terrain, acquis par la collectivité pour 215 001 euros en 2008, est ainsi vendu avec une perte sèche de 85 000 euros, soit une moins-value de près de 40 %, tandis que le marché immobilier local a progressé de 42 % sur la même période.
Cette opération, intervenant à moins de cinq mois des élections municipales, soulève de nombreuses interrogations quant à sa régularité, sa transparence et l’opportunité d’une telle précipitation.
Que cache la cession de deux terrains municipaux, à prix bradé ?
Introduction : Les secrets enfouis sous le bitume
L’automne avait posé son voile doré sur Noisy-le-Sec, cette commune urbaine populaire de la petite couronne parisienne, où les tramways glissent comme des confidences le long des avenues. Dans le Parc d’Activités du Terminal, cent soixante entreprises vaquaient à leurs occupations quotidiennes, ignorant peut-être qu’à quelques mètres de leurs entrepôts, un terrain communal s’apprêtait à changer de mains dans des conditions pour le moins singulières.![]()
La vérité, voyez-vous, ressemble à ces parcelles cadastrales que l’on oublie sur les plans d’urbanisme. Elle est là, sous nos yeux, parfaitement délimitée, enregistrée dans les registres officiels, et pourtant… invisible. Jusqu’au jour où quelqu’un décide de soulever le voile.
Nous aimons tous croire que la gestion du bien public obéit à des règles claires, transparentes, immuables. Que les élus, ces dépositaires de notre confiance collective, agissent avec cette rigueur qu’on attend d’un bon gestionnaire. Mais parfois — seulement parfois — les documents administratifs révèlent des histoires que personne n’avait prévu de raconter. Des histoires où les chiffres ne s’additionnent pas tout à fait comme ils le devraient, où les chronologies se télescopent curieusement, où les explications officielles se heurtent aux faits avec la violence sourde d’une contradiction.
Ce qui va suivre n’est pas un procès. Ce n’est pas non plus une accusation. C’est simplement le récit minutieux d’une opération immobilière telle qu’elle apparaît dans les délibérations municipales, les avis d’expertise, et les documents officiels. Un récit où chaque lecteur pourra se faire sa propre opinion sur ce qui, d’après les faits établis, s’est véritablement produit à Noisy-le-Sec à l’automne 2025.
Car voyez-vous, les secrets les mieux gardés ne sont pas toujours ceux qu’on enferme dans un coffre-fort. Parfois, ils sont imprimés noir sur blanc dans des délibérations municipales, cachés en pleine lumière, protégés par cette chose étrange que nous appelons l’indifférence publique.
Mais l’indifférence, comme l’automne, ne dure qu’un temps.
Acte I : L’arithmétique impossible
Que l’on nous permette d’ouvrir ce réquisitoire citoyen par une interrogation qui, nous l’espérons, trouvera écho dans l’esprit de nos concitoyens : à quelle alchimie mystérieuse un bien public peut-il perdre quarante pour cent de sa valeur en dix-sept années, tandis que le marché immobilier environnant connaît une croissance de plus de quarante-deux pour cent ?
La délibération adoptée en conseil municipal le jeudi 2 octobre 2025 offre un cas d’école des pratiques qui, sans préjuger de leur qualification juridique définitive, méritent à tout le moins un examen circonstancié.
Le scénario est d’une simplicité déconcertante : la commune de Noisy-le-Sec s’apprête à céder deux parcelles cadastrées K009 et L102, représentant ensemble 2 107 mètres carrés, pour la somme de 130 000 euros à une société de construction. Un prix qui, convenons-en, interpelle quiconque dispose d’un minimum de sens arithmétique, dès lors que ces mêmes terrains furent acquis par la collectivité pour la somme totale de 215 000 un euros.
Le calcul est brutal : une perte de 85 000 € dans un marché en pleine expansion.
Mais c’est en scrutant les prix du marché local que l’anomalie prend toute son ampleur.
En 2025 à Noisy-le-Sec, les données sont sans appel :
- Un terrain à vocation économique (parking, activités) se négocie entre 543 et 877 €/m²
- Même un terrain non constructible utilisable en parking vaut entre 250 et 363 €/m²
Le prix de cession ? 107,7 €/m².
Savourons ce chiffre un instant. Même dans l’hypothèse la plus favorable à la municipalité – celle d’un terrain réellement non constructible – le prix pratiqué serait inférieur de 50 à 70 % à la valeur minimale du marché.
Mais le terrain en question n’est pas non constructible. Il est situé en zone UA du PLU – zone spécifiquement destinée aux activités économiques. Il est contigu à une entreprise. Il va accueillir un parking professionnel. Il présente toutes les caractéristiques d’un terrain à vocation économique.
Dans ces conditions, le prix devrait se situer entre 543 et 877 €/m², soit une valeur réelle oscillant entre 655 000 et 1 058 000 euros.
Le préjudice pour la collectivité ? Entre 525 000 et 928 000 euros selon les estimations prudentes de la saisine déposée à la Chambre régionale des comptes.
Cinq à huit fois inférieur à la valeur du marché. Ce n’est plus une décote. C’est une hémorragie.
Acte II : Les contradictions de Madame Samia Sehouane
Madame Samia Sehouane, élue en charge du dossier, nous livre une argumentation qui défie les lois élémentaires de la logique juridique.
D’un côté, l’édile nous assure que lesdites parcelles « ne peuvent être mises en valeur par la Collectivité » et « ne présentent aujourd’hui aucun usage ». Le terrain serait, nous dit-on avec une assurance désarmante, « non constructible ». Voilà qui justifierait, dans l’esprit de Madame Sehouane, une décote substantielle.
De l’autre côté — et c’est ici que le raisonnement atteint des sommets de sophistique — la même délibération nous apprend que l’acquéreur « s’est engagé à procéder à l’aménagement du site avec notamment des aménagements paysagers » et entend y créer « des emplacements de stationnement dédiés aux véhicules de l’entreprise ».
Permettez-nous une pause rhétorique pour savourer pleinement cette contradiction.
Un terrain serait donc simultanément dépourvu de toute valeur d’usage pour la collectivité publique, mais parfaitement propre à accueillir des aménagements professionnels lucratifs pour un opérateur privé ? Un parking d’entreprise — avec son revêtement bitumeux, sa clôture, son éclairage, ses plantations — constituerait-il donc un usage pour l’un mais pas pour l’autre ?
La contradiction devient encore plus savoureuse quand on examine les faits : le terrain est situé en zone UA du PLU – une zone spécifiquement destinée aux activités économiques. Non seulement il n’est pas « non constructible », mais il est classé dans une zone où la constructibilité pour usage économique est la règle, non l’exception.
Comment Madame Sehouane peut-elle, sans que sa plume ne tremble, affirmer que ce terrain « ne peut être mis en valeur » tout en autorisant un tiers à y déployer des installations économiquement rentables ?
Les qeustions demeurent mais un fait est irrégutable : Le prix pratiqué est inférieur de moitié même aux terrains réellement « non constructibles ». C’est dire si la qualification retenue défie l’entendement.
Cette dialectique audacieuse mériterait, à n’en pas douter, les honneurs d’un traité de rhétorique, sous le chapitre consacré aux oxymores juridico-administratifs.
Acte III : L’occupation illégale, ou quand le fait précède le droit
Mais le plus savoureux reste à venir.
L’avis de la Direction des Finances Publiques du 4 juin 2025 — document que Madame Sehouane se garde bien de commenter — nous révèle un détail qui transforme radicalement la nature de l’affaire : l’entreprise de construction occupe déjà les lieux et une clôture y a été installé, et ce avant même que le conseil municipal ne se prononce sur la cession.
Relisons cette phrase, car elle mérite toute notre attention.
Un opérateur privé s’approprie un bien appartenant au domaine public, y installe ses équipements, et la municipalité non seulement tolère cette occupation sans titre, mais s’apprête à régulariser cette situation en vendant ledit bien à l’occupant illégal, et qui plus est à un prix défiant toute logique de marché.
L’évaluateur des Domaines, avec un euphémisme qui frise la poésie administrative, note pudiquement que « le propriétaire voisin a pris l’initiative de clôturer » les parcelles communales. « Pris l’initiative », comme on prendrait l’initiative de ramasser un papier gras dans la rue. Sauf qu’ici, il s’agit d’une appropriation caractérisée d’un bien public.
Et Madame Sehouane ne trouve rien à redire.
Aucune convention d’occupation n’a été signée. Aucune redevance d’occupation — pourtant obligatoire en vertu de la loi — n’a été perçue. L’entreprise bénéficie donc, de facto, d’une jouissance gratuite d’un bien public, avant d’en obtenir la propriété à un prix dérisoire.
Le manque à gagner ? 24 140 euros de redevances non perçues selon la saisine de la Chambre régionale des comptes. Une broutille, n’est-ce pas ? À peine de quoi financer quelques mois de services publics.
Ne voilà-t-il pas une séquence qui fleure bon la gestion exemplaire du patrimoine communal ?
Acte IV : Une évaluation pour le moins… créative
Attendez, ce n’est pas encore terminé car l’avis des services de l’État, censé garantir l’objectivité du prix, présente lui-même des particularités qui auraient mérité, à tout le moins, quelques éclaircissements de la part de Madame Sehouane.
Première curiosité : l’évaluateur retient une surface « d’environ 1 000 mètres carrés », alors que le cadastre — document qui fait foi en la matière — établit avec certitude une superficie de 1 207 mètres carrés. 207 mètres carrés se sont donc volatilisés dans l’opération, sans qu’aucune explication technique, juridique ou cadastrale ne vienne éclairer cette mystérieuse disparition. Au prix retenu, cette « erreur » représente déjà un manque à gagner de quelque 27 000 euros.
Deuxième curiosité : un abattement de 15% est appliqué pour « situation très irrégulière ». Mais quelle est donc cette irrégularité si considérable qu’elle justifierait une décote de 26 554 euros, un manque à gagner pour notre collectivité ?
Cherchons la réponse.
Dans l’avis des Domaines ? Rien. Aucune précision. Aucune description. Aucune analyse technique, juridique ou urbanistique qui viendrait documenter ce caractère « très irrégulier ». La formule apparaît, nue et inexpliquée, comme une évidence qui n’aurait pas besoin de justification.
L’évaluateur ne juge pas utile de nous l’expliquer. Forme parcellaire défavorable ? Enclavement ? Pollution avérée ? Servitudes particulières ? Le mystère demeure entier.
Dans la délibération municipale du 2 octobre 2025 ? Silence assourdissant. Madame Sehouane ne fait aucune mention de cet abattement. Pas un mot pour expliquer aux élus du Conseil municipal pourquoi le terrain qu’ils s’apprêtent à vendre souffre d’une « situation très irrégulière » justifiant une décote de 26 554 euros.
Les élus ont donc voté sans savoir. La collectivité a perdu 26 554 euros pour une raison qui demeure, à ce jour, un mystère administratif.
Cette irrégularité est-elle d’ordre technique ? Géotechnique ? Juridique ? Urbanistique ? Environnemental ? Personne ne le sait. Personne ne le dit. Le mystère plane, épais comme le brouillard d’automne, protégé par le silence de ceux qui devraient l’éclaircir.
Troisième curiosité : les sept ventes de référence proviennent exclusivement d’autres communes — Le Blanc-Mesnil, Bobigny, La Courneuve, Drancy, Dugny — aucune transaction comparable sur la commune de Noisy-le-Sec n’est utilisée, alors que des cessions ont nécessairement eu lieu entre 2020 et 2025 dans une commune dynamique située à cinq kilomètres de Paris, desservie par le RER E et le tramway T1.
Cette méthodologie aboutit, comme par enchantement, à un prix artificiellement bas, fondé sur des marchés périphériques moins dynamiques.
Le résultat ? Un prix de 107.70€ le mètre carré, quand le marché local établit des valeurs entre 620 et 870 euros le mètre carré.
Selon les données disponibles, la commune subit donc une perte comprise entre six cent mille et neuf cent vingt-huit mille euros, selon que l’on retienne l’hypothèse basse ou médiane du marché.
Même avant l’abattement de 15%, le prix retenu (152 €/m²) était déjà quatre à six fois inférieur au marché local. L’évaluation est elle-même sous-évaluée de 70 à 83%.
Et Madame Sehouane, dans sa délibération, ne relève aucune de ces anomalies. Pas une question. Pas une contestation. Pas une demande de contre-expertise. Elle se contente d’indiquer que le prix correspond « à l’évaluation de la valeur vénale faite par la Direction Nationale d’Interventions Domaniales », comme si ce label suffisait à écarter toute interrogation.
Acte V : Une mise en concurrence… inexistante
Le terrain est situé dans le Parc d’Activités du Terminal, qui compte cent soixante entreprises implantées sur près de dix hectares. Ces opérateurs économiques — entreprises de logistique, de bâtiment, de transport, de services — constituent les acquéreurs naturels de ce type de foncier.
Combien d’entre elles ont été informées de cette cession ? Combien ont pu présenter une offre ?
Zéro.
Aucune publicité n’a été organisée. Aucun appel d’offres. Aucun appel à candidatures. Aucune mise en concurrence. Un seul candidat retenu, sans procédure ouverte, sans transparence, sans égalité de traitement. Exactement comme dans l’affaire du recrutement du médiateur de la ville.
La société SNCF Réseau, propriétaire de parcelles voisines, a certes été consultée. Mais quand ? En août 2025, soit deux mois après que l’offre de la société CIF ait été formulée (5 juin 2025) et que l’avis des Domaines ait été rendu (4 juin 2025).
Peut-on sérieusement qualifier cette démarche tardive de « mise en concurrence » ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une formalité destinée à donner une apparence de légalité à une décision déjà arrêtée ?
Et Madame Sehouane ne souffle mot de cette chronologie problématique. Elle se contente d’indiquer que la SNCF « ne s’est pas portée acquéreur », comme si cette non-candidature était spontanée et naturelle, et non le résultat d’une consultation cosmétique intervenue après que les dés furent jetés.
Acte VI : Le fantôme de Laurent Rivoire et l’urgence suspecte
Il est des voix qui, bien qu’éloignées du pouvoir, conservent une autorité morale certaine. Laurent Rivoire, ancien maire de Noisy-le-Sec, a publié le 17 octobre 2025 un message qui résonne comme un coup de semonce :
« On comprend mieux pourquoi il n’y a plus d’argent dans les caisses. »
Cette déclaration, lapidaire mais cinglante, pose une question que Madame Sehouane et l’actuel maire se gardent bien d’aborder : pourquoi cette précipitation à brader un bien communal à moins de cinq mois des élections municipales ?
Car enfin, rien ne justifie l’urgence de cette opération. Le terrain n’est pas grevé de charges insupportables. Il ne fait l’objet d’aucune procédure d’expropriation. Aucune urgence budgétaire impérieuse n’est invoquée. Aucun projet d’intérêt général ne nécessite cette cession immédiate.
Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi ce prix ? Pourquoi cet acquéreur ? Pourquoi cette absence totale de mise en concurrence ? Pourquoi cette tolérance vis-à-vis de l’occupation préalable ?
L’offre d’achat de CIF date du 5 juin 2025 – le lendemain même de l’avis des Domaines. Troublante synchronicité. La délibération est votée le 2 octobre. Entre les deux ? Le silence, lourd de questions non posées.
La consultation de la SNCF Réseau intervient en août, deux mois après l’offre retenue. Cette séquence exclut toute mise en concurrence réelle. Ce n’est pas une procédure transparente, c’est un paravent, une apparence de légalité pour habiller une décision déjà prise.
Le Parc d’Activités du Terminal compte 160 entreprises – 160 acquéreurs potentiels jamais consultés, jamais informés. Aucune publicité légale, aucun appel à candidatures. Un seul acquéreur, une seule offre, un seul prix.
Violation manifeste de l’article L3211-14 du Code général de la propriété publique, qui impose transparence et égalité de traitement dans les cessions de biens publics.
Et cette question lancinante qui hante les esprits : pourquoi vendre maintenant, à ce prix, à cet acquéreur, à moins de cinq mois des élections municipales ?
Acte VII : Le faux motif
La délibération invoque les « dépôts sauvages de déchets » pour justifier la vente.
Soyons sérieux un instant.
La Ville de Noisy-le-Sec dispose de tous les pouvoirs de police pour empêcher ces dépôts : clôture, surveillance, verbalisation, arrêtés municipaux. D’ailleurs – et c’est là toute l’ironie – l’entreprise a déjà clôturé le terrain avant même de l’acheter.
La solution existait donc : quelques milliers d’euros de clôture municipale. Mais on préfère accepter une perte oscillant entre 85 000 et 928 000 euros selon les hypothèses ? Le motif est totalement disproportionné.
À moins, bien sûr, que l’objectif réel soit tout autre. Mais nous nous garderons de conjectures.
Acte VIII : Les zones ombres
Les questions s’accumulent comme les feuilles mortes d’automne, formant un tapis épais qui étouffe les réponses :
Pourquoi n’avoir consulté aucune des 160 entreprises voisines du Parc d’Activités ?
Pourquoi la SNCF a-t-elle été contactée deux mois après l’accord conclu avec CIF, dans une mascarade de mise en concurrence ?
Pourquoi avoir accepté sans discussion une évaluation sous-estimée, truffée d’anomalies méthodologiques, fondée sur des comparables de communes périphériques moins dynamiques ?
Pourquoi avoir toléré qu’une entreprise jouisse gratuitement d’un bien public avant d’en acquérir la propriété à vil prix ?
Pourquoi ne pas avoir contesté les vices manifestes de l’évaluation domaniale – surface minorée, abattement injustifié, comparaisons non pertinentes ?
Et surtout : pourquoi cette hâte suspecte, à cinq mois des élections, pour une opération qui coûte à la collectivité entre 85 000 et près d’un million d’euros selon les estimations ?
Sur les réseaux sociaux, l’ancien Maire de notre ville, Laurent Rivoire a posé la question qui devrait résonner comme un avertissement dans la salle du conseil municipal : « On comprend mieux pourquoi il n’y a plus d’argent dans les caisses. »
Au-delà des considérations d’opportunité politique, cette opération pose de sérieuses questions au regard du droit.
Le Code général des collectivités territoriales impose aux élus de gérer le patrimoine communal en « bon père de famille » et d’obtenir le meilleur prix possible lors d’une cession, sauf justification d’un intérêt général prépondérant.
En l’espèce, quel intérêt général ?
Le parking sera privé, réservé aux seuls véhicules de l’entreprise. Quant à l’argument de la lutte contre les dépôts sauvages, il est résolu depuis que l’entreprise a… clôturé illégalement le terrain.
Aucun équipement public ne sera créé. Aucun logement social. Aucun espace vert accessible aux habitants. Aucun service d’intérêt collectif.
Or, la jurisprudence du Conseil d’État est constante : une collectivité publique ne peut consentir une libéralité à un tiers privé, sauf motif d’intérêt général caractérisé. En cédant un bien pour une fraction de sa valeur marchande, sans justification d’intérêt public, la commune s’expose à une censure du juge administratif.
Mais il y a plus grave.
Le cumul des irrégularités — absence de mise en concurrence, occupation préalable tolérée, sous-évaluation massive, acquéreur unique privilégié, contexte pré-électoral — pourrait caractériser le délit de favoritisme, infraction pénale sanctionnée par l’article 432-14 du Code pénal.
Ce délit se définit ainsi « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique (…), de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».
La jurisprudence étend cette qualification aux cessions immobilières des collectivités territoriales, dès lors qu’elles sont soumises à des règles de transparence et d’égalité de traitement.
Nous ne préjugeons évidemment pas de la qualification pénale définitive, qui appartient au juge. Mais force est de constater que les éléments constitutifs de l’infraction méritent un examen attentif des autorités compétentes.
Cette délibération fait l’objet d’un recours contentieux devant le tribunal administratif de Montreuil.
Le Préfet de Seine-Saint-Denis a également été saisi pour un contrôle de légalité et un éventuel déféré préfectoral. La chambre régionale des comptes a été sollicitée d’urgence sur cette transaction, perdante pour la ville. Oui, les autorités compétentes ont été sollicitées pour contrôler, s’assurer et garantir le bien fondé et la légalité de cette délibération municipale.
Le dossier suit donc son cours juridictionnel, et la vérité finira, nous l’espérons, par émerger des ténèbres où certains voudraient la maintenir.
Épilogue : Les questions sans réponse
Madame Sehouane, par sa délibération lacunaire et son silence obstiné face aux incohérences manifestes, a transformé une simple opération immobilière en énigme administrative.
Pourquoi avoir occulté l’occupation préalable illégale ?
Pourquoi avoir écarté cent soixante entreprises locales sans même les consulter ?
Pourquoi avoir attendu deux mois après la signature de l’accord avec CIF pour contacter la SNCF, dans une mascarade de mise en concurrence ?
Pourquoi avoir accepté sans discussion une évaluation manifestement sous-estimée, truffée d’anomalies, et fondée sur des comparaisons avec des communes périphériques moins dynamiques ?
Pourquoi n’avoir exigé aucune garantie juridique contraignante sur les engagements de l’acquéreur ?
Pourquoi avoir toléré qu’une entreprise jouisse gratuitement d’un bien public avant d’en acquérir la propriété à vil prix ?
Et surtout : pourquoi cette hâte à conclure, à moins de cinq mois des élections, une opération qui coûte à la collectivité entre quatre-vingt-cinq mille et près d’un million d’euros ?
Ces zones d’ombre appellent des réponses claires et transparentes.
En leur absence, les citoyens de Noisy-le-Sec sont fondés à s’interroger sur la nature réelle de cette transaction : s’agit-il d’une simple erreur de gestion, d’une négligence coupable, ou de quelque chose de plus inavouable encore ?
Le juge tranchera. Mais en attendant, la question posée par Laurent Rivoire résonne comme un avertissement : « On comprend mieux pourquoi il n’y a plus d’argent dans les caisses. »
Et nous ajouterons : on commence à comprendre aussi pourquoi certains dossiers sont traités dans une telle précipitation, quelques mois avant le verdict des urnes.
Conclusion : Quand les feuilles mortes révèlent la vérité
L’hiver approche doucement sur Noisy-le-Sec. Les arbres du Parc d’Activités perdent leurs dernières feuilles, révélant peu à peu ce que la frondaison estivale avait dissimulé. Et comme ces branches dénudées qui laissent voir ce qu’elles protégeaient, les documents administratifs, lorsqu’on prend le temps de les lire attentivement, dévoilent parfois des vérités que personne n’avait songé à chercher.
Oui, les secrets ont cette particularité troublante : ils se cachent rarement là où on les attend. Pas dans des coffres-forts verrouillés, pas dans des conversations chuchotées à l’abri des regards. Non. Ils se nichent dans les délibérations municipales, dans les avis d’expertise, dans ces colonnes de chiffres que personne ne lit jamais vraiment. Ils reposent en pleine lumière, protégés par notre lassitude collective, par cette fatigue démocratique qui nous fait accepter l’inacceptable simplement parce qu’il est estampillé d’un tampon officiel.
Cette histoire de terrain n’est pas qu’une histoire de mètres carrés et d’euros. C’est une parabole moderne sur la façon dont nous gérons — ou négligeons — ce qui appartient à tous. C’est une leçon sur la différence entre ce qui est légal et ce qui est juste, entre ce qui est autorisé et ce qui est moral.
Madame Sehouane, dans sa délibération du 2 octobre 2025, a peut-être respecté la lettre de la procédure. Mais a-t-elle honoré l’esprit de sa mission ?
Peut-on vraiment parler de gestion responsable du patrimoine public lorsqu’un terrain perd quarante pour cent de sa valeur en dix-sept ans, dans un marché en pleine expansion ?
Peut-on invoquer la transparence quand cent soixante entreprises voisines n’ont jamais eu la possibilité de faire une offre ? Peut-on prétendre défendre l’intérêt général quand on régularise une occupation illégale au profit de l’occupant ?
Ces questions ne sont pas des accusations. Ce sont des interrogations légitimes que tout citoyen est en droit de poser à ses élus. Car voyez-vous, la démocratie ne se résume pas au bulletin glissé dans l’urne tous les six ans. Elle vit dans ces moments où quelqu’un, quelque part, décide de demander : « Pourquoi ? Comment ? Pour qui ? »
Le recours contentieux a été déposé au tribunal administratif de Montreuil. La saisine de la Chambre régionale des comptes a été envoyée le 15 octobre 2025, documentant méticuleusement un préjudice oscillant entre 559 554 et 918 604 euros selon les hypothèses retenues. Sur les parcelles K009 et L102, la clôture installée sans autorisation continue de délimiter un territoire qui n’appartient pas encore – légalement du moins – à celui qui l’a clôturé ou qui en bénéficie.
L’automne avait cédé la place aux premiers frimas lorsque le recours contentieux fut déposé devant le tribunal administratif de Montreuil. Dehors, sur les parcelles K009 et L102, la clôture installée sans autorisation continuait de délimiter un territoire qui n’appartenait pas encore à celui qui l’avait clôturé. Un symbole, en quelque sorte, de cette étrange période où les faits précèdent le droit, où l’appropriation devance la légalité.
Certains diront que c’est une tempête dans un verre d’eau, qu’il ne s’agit que de 1 207 mètres carrés dans une commune de 15 hectares. Que les vrais problèmes sont ailleurs — le chômage, le logement, l’éducation. Et ils n’auront pas tout à fait tort. Mais ils n’auront pas tout à fait raison non plus.
Car dans ces 1 207 mètres carrés se concentre tout ce qui peut aller de travers quand la vigilance citoyenne s’endort. L’opacité qui se substitue à la transparence. La complaisance qui remplace l’exigence. Le silence qui couvre les irrégularités. Et cette hâte suspecte, cette précipitation qui défie le bon sens, ce besoin irrépressible de conclure avant que quelqu’un ne pose trop de questions.
Le juge tranchera, nous dit-on. Et c’est vrai. Le juge examinera les documents, analysera les procédures, vérifiera la légalité des actes. Mais le juge ne pourra pas répondre à la question essentielle, celle qui hante les esprits depuis que Laurent Rivoire a lancé son avertissement : pourquoi cette hâte ?
Pourquoi vendre maintenant, à ce prix, à cet acquéreur, dans ces conditions, à moins de cinq mois des élections ? Qu’est-ce qui justifie une telle urgence ? Quelle dette invisible s’apprête-t-on à régler avec les deniers publics ? Et surtout : qui, dans cette affaire, en sort gagnant — à part l’acquéreur qui obtient un terrain à quarante pour cent de sa valeur de marché ?
Les citoyens de Noisy-le-Sec méritent des réponses. Pas des communiqués de presse. Pas des justifications a posteriori. Des réponses claires, précises, documentées. Le genre de réponses qu’on donne quand on n’a rien à cacher.
Car au fond, c’est peut-être là la véritable leçon de cette histoire : dans une démocratie digne de ce nom, ceux qui gèrent l’argent public doivent accepter d’être interrogés, challengés, questionnés. Sans colère. Sans animosité. Mais sans complaisance non plus.
L’hiver était là, désormais. Sur le Parc d’Activités du Terminal, les 160 entreprises qui n’avaient jamais été consultées poursuivaient leurs activités, peut-être sans savoir qu’un terrain s’était vendu juste à côté, dans des conditions qui auraient pu — qui auraient dû — leur permettre de faire une offre.
Et quelque part, dans les bureaux du tribunal administratif de Montreuil, un dossier attendait son tour. Un dossier parmi tant d’autres. Mais un dossier qui contenait, entre ses pages numérotées, une question simple et terrible :
Quand on gère l’argent de tous, a-t-on le droit de faire comme si c’était le sien ?
La réponse viendra. Peut-être en 2026. Peut-être plus tard. Mais elle viendra, portée par cette chose étrange et obstinée qu’on appelle la justice. Et ce jour-là, sous le ciel gris de la petite couronne parisienne, la vérité émergera enfin des colonnes de chiffres et des paragraphes de délibérations.
En attendant, les parcelles K009 et L102 attendent, elles aussi. Clôturées. Occupées. Presque vendues. Comme un secret qu’on aurait voulu enterrer, mais qui refuse obstinément de disparaître.
Car voyez-vous, les secrets ont cette particularité : plus on les cache, plus ils brillent quand la lumière finit par les toucher.
Et à Noisy-le-Sec, en cet hiver 2025, la lumière commence à percer.à travers les branches dénudées des arbres de ce parc d’activités.
Cet article s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.Les faits, citations et témoignages évoqués reposent sur des éléments disponibles, des documents syndicaux publics et des informations d’intérêt général au moment de la publication.Aucune imputation personnelle de nature diffamatoire n’est formulée à l’encontre d’un individu déterminé.
L’article relève d’une démarche d’information et d’analyse sur le fonctionnement institutionnel d’une collectivité publique, sans intention de nuire ni d’atteindre à l’honneur d’une personne.Toute précision ou rectification documentée sera naturellement publiée à la demande des intéressés dans le respect du droit de réponse.

