C’est précisément ce qui s’est passé le 13 novembre dernier, lorsque le conseil municipal de Noisy-le-Sec a voté la délibération n°3 : une garantie d’emprunt de 1 121 751,05 euros pour quatre-vingts ans. Un engagement colossal, traversé par cinq incohérences que personne n’a voulu voir.
Pour comprendre cette affaire, il faut d’abord saisir ce qu’est une garantie d’emprunt. C’est un peu comme se porter caution pour un proche qui achète un appartement : si l’emprunteur ne peut plus rembourser, c’est vous qui payez à sa place.
Ici, la Coopérative Foncière Francilienne souhaite construire des logements en accession sociale rue Léo Lagrange. Pour acheter le terrain, elle emprunte 1,12 million d’euros à la Caisse des Dépôts. Mais voilà : la banque exige une garantie. Et c’est la Ville de Noisy-le-Sec — autrement dit, les contribuables noiséens — qui se porte garante à hauteur de 100 %, pendant quatre-vingts ans, en renonçant même au « bénéfice de discussion ».
Traduction : si la Coopérative fait défaut, la commune devra payer immédiatement, sans pouvoir exiger que le prêteur saisisse d’abord les biens de l’emprunteur.
Un engagement qui court jusqu’en 2105. Quatre à cinq mandats municipaux. Trois générations de Noiséens.
1. Un planning devenu fiction
La demande de garantie, datée du 9 octobre 2023, prévoyait un dépôt de permis en septembre 2022 et un lancement des travaux au quatrième trimestre 2023. Nous sommes fin 2025. Où en est réellement ce projet ? Le silence de l’administration sur ce retard de deux ans laisse songeur.
2. Aucune contrepartie pour les Noiséens — et aucune tentative d’en obtenir
La délibération l’affirme avec une candeur désarmante : la Coopérative « ne peut offrir à la Ville les contingents similaires aux logements locatifs sociaux ». Circulez, il n’y a rien à négocier.
Sauf que c’est faux.
Cette prétendue impossibilité n’est pas une règle de droit. C’est simplement l’argument de l’opérateur, que la commune a accepté sans broncher. Car si le Bail Réel Solidaire (BRS) ne permet pas de contingent locatif au sens classique, d’autres formes de contreparties auraient parfaitement pu être négociées :
- Priorité aux Noiséens : critères de sélection favorisant les résidents de la commune
- Priorité aux salariés locaux : travailleurs exerçant à Noisy-le-Sec
- Droit de regard sur les attributions : information préalable à la commune
- Participation à la gouvernance de l’OFS : siège au conseil d’administration
D’autres collectivités obtiennent ce type de contreparties pour leurs garanties en BRS. La loi le permet. La Coopérative Foncière Francilienne aurait pu s’y engager. Mais la commune n’a même pas essayé.
Pire encore : la délibération ne comporte aucune motivation de l’intérêt public local. Elle n’indique ni les besoins en accession sociale de la commune, ni en quoi cette opération spécifique y répond. Elle se contente d’affirmer que l’opération relève du « logement social » — comme si l’étiquette suffisait à justifier l’engagement.
Résultat : près de 3 millions d’euros engagés sur 80 ans, sans aucune garantie que les 31 logements bénéficieront aux habitants de Noisy-le-Sec. Ces logements pourraient être attribués à des acquéreurs n’ayant strictement aucun lien avec la commune.
Dans cette ville populaire où chaque euro compte, la générosité municipale s’est exercée dans un seul sens — et personne n’a jugé utile de demander quoi que ce soit en retour.
3. Un flou persistant sur le nombre de logements
La délibération mentionne 31 logements à trois reprises. Mais la lettre de demande initiale de la Coopérative indique 33 logements. Cette imprécision n’est pas anodine : elle détermine le montant exact de l’engagement communal. Un détail que les contribuables auraient aimé voir clarifié.
4. Une date griffonnée à la main
Et puis il y a cette date manuscrite — le 3 octobre 2025 — sur un accord de principe signé par l’adjoint aux finances. Une anomalie manuscrite là où tout devrait être imprimé. Le genre de détail qui, dans les enquêtes administratives, fait lever bien des sourcils. Quel est d’ailleurs le statut juridique de cet « accord de principe » ? Cette question, posée à la municipalité, reste sans réponse.
5. Une protection légale… abandonnée
Il existe des lois faites pour protéger les communes d’elles-mêmes. L’article L.2252-1 du Code des collectivités territoriales en fait partie. Ce texte garantit aux communes un droit impératif : en cas de défaillance de l’emprunteur, elles peuvent choisir de payer soit la totalité de la dette, soit uniquement les échéances arrivées à terme. Un filet de sécurité que la loi rend intouchable — « aucune stipulation ne peut faire obstacle » à ce droit de choix.
Or, que fait la délibération du 13 novembre ? Elle renonce expressément au « bénéfice de discussion ». Autrement dit, elle abandonne ce droit de choix que le législateur a pourtant voulu protéger. L’Association des Maires de France elle-même qualifie cette pratique d’« extrêmement dangereuse pour les communes ».
C’est un peu comme si vous signiez un contrat d’assurance en acceptant, en petits caractères, de renoncer à toute indemnisation. À quoi bon, alors, avoir une assurance ?
Cette question a été posée à l’adjoint aux finances. Elle reste, à ce jour, sans réponse. Un recours devrait être déposé devant le tribunal administratif de Montreuil. L’avis du préfet sera sollicité.
Le vertige des chiffres : près de 3 millions d’euros de risque
Il y a des vérités qui se cachent dans les annexes. Le tableau d’amortissement joint au contrat révèle une réalité vertigineuse : sur quatre-vingts ans, le total des intérêts s’élève à 1 861 136 euros — soit 166 % du capital emprunté.
Autrement dit, le coût total du prêt atteint près de 3 millions d’euros pour un emprunt initial de 1,12 million. Plus du double.
En garantissant ce prêt à 100 %, avec renonciation au bénéfice de discussion, la commune expose potentiellement ses finances à un remboursement de 37 000 euros par an pendant quatre-vingts ans. Et rappelons-le : zéro logement réservé en contrepartie.
La question s’impose alors d’elle-même : comment justifier d’engager les Noiséens sur un risque financier potentiel de 3 millions d’euros, sans aucune contrepartie, sur la base d’un dossier truffé d’anomalies chronologiques ?
Une comparaison pour mieux comprendre
Pour illustrer l’absurdité de cet engagement, imaginez la situation suivante : vous prêtez 100 € à quelqu’un, et on vous demande de vous porter garant pour un remboursement total de 266 € — sans rien recevoir en échange, en acceptant de payer immédiatement si l’emprunteur fait défaut, le tout pendant quatre-vingts ans.
Accepteriez-vous ? Le conseil municipal de Noisy-le-Sec, lui, a dit oui.
Quand poser des questions devient un délit d’opinion
Il y a des moments où lever la main demande plus de courage qu’il n’y paraît. Ce soir-là, Samy Bessaou, élu de l’opposition, a osé ce geste simple : interrompre le ronronnement des votes pour soulever quelques-unes de ces incohérences. Des questions légitimes, de celles qu’un contribuable serait en droit de poser.
La réponse qu’il reçut restera dans les annales de la démocratie locale noiséenne. On lui suggéra d’envoyer un mail. Et s’il n’était pas satisfait ? Qu’il dépose donc un recours contentieux au tribunal administratif.
Un citoyen a effectivement posé ces questions par écrit. La réponse de l’adjoint aux finances fut édifiante : « Je ne souhaite pas que les services juridiques passent du temps à vous préparer une réponse parce que vous vous croyez compétent en la matière », avant de conclure qu’un recours « encombrerait des administrations qui ont de vrais sujets à traiter ».
Voilà comment, dans cette commune urbaine de la petite couronne, le débat démocratique se résume désormais à un choix binaire : se taire ou plaider. Comme si questionner un engagement d’un million d’euros sur quatre-vingts ans relevait du caprice, et non du devoir élémentaire d’un élu. Comme si la transparence était devenue une option payante, accessible uniquement à ceux qui ont le temps et les moyens de saisir un juge.
Oui, la confiance suppose que les règles soient respectées, que les contreparties soient exigées — et que les questions soient accueillies, non pas comme des affronts, mais comme la respiration normale d’une démocratie vivante.
Les habitants de Noisy-le-Sec méritaient mieux que des garanties sans garanties et des élus qui répondent au mépris plutôt qu’aux arguments.
Mais comme le savent ceux qui observent la vie municipale avec attention, la vérité est parfois la dernière à être conviée aux réunions du conseil. Et ceux qui la cherchent doivent souvent attendre que l’orage passe pour voir ce qui se cachait sous la surface.
Sources : Délibération n°3 du conseil municipal du 13 novembre 2025, contrat de prêt n°176353 de la Caisse des Dépôts et Consignations (signatures électroniques des 01/08 et 11/08/2025), accord de principe du 3 octobre 2025.
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