Retour sur une inauguration où l’art subtil de l’appropriation politique s’est déployé avec une maestria consommée, au détriment peut-être de cette vertu cardinale qu’est la reconnaissance des mérites d’autrui..
En ce dimanche printanier, tandis que notre premier édile savourait vraisemblablement sa libation dominicale avec la satisfaction caractéristique du devoir que l’on s’attribue, les échos du succès inaugural du marché aux comestibles de la Boissière parvenaient jusqu’à lui – tel un miracle administratif dont la paternité devait, naturellement, être revendiquée avec la plus grande célérité.
« Le talent politique suprême consiste à être capable de s’attribuer les idées d’autrui. » – Raymond Aron
La comptabilité créative d’une communication politique
Cette nouvelle manifestation d’auto-congratulation n’est pas sans rappeler les pratiques comptables de notre municipalité, récemment mises en lumière dans nos colonnes. Nous y avions exposé comment les prétendues « ressources propres » intégraient subrepticement dotations aux amortissements (2,35 millions d’euros) et provisions (925 000 euros) – mécanismes qui, loin de refléter une santé financière robuste, masquent une dépendance inquiétante aux réserves et à des prévisions futures incertaines pour équilibrer le budget communal.
La rhétorique municipale semble désormais appliquer à la politique ce qu’elle pratique en matière financière : une présentation embellie de la réalité, où ce qui appartient à d’autres est comptabilisé dans l’actif de son propre bilan.
La généalogie contestée d’un projet municipal
C’est ainsi que notre Maire, Monsieur Olivier Sarrabeyrouse, armé de son téléphone et d’une dextérité numérique désormais coutumière, s’est empressé de proclamer urbi et orbi via le réseau social au logo céruléen la naissance de cette merveille commerciale dominicale.
Le verbe municipal, perpétuellement enclin à l’autocélébration, s’est drapé des oripeaux de la « démocratie impliquante » – concept aussi nébuleux qu’opportun – pour présenter cette réalisation comme le fruit d’une gestation collective de deux années. « Ce projet est né de notre démarche de démocratie impliquante, après un long travail de co-construction de projet », affirme-t-il avec une assurance déconcertante.
Quelle ne fut pas la surprise de lire, en contrepoint de cette narration officielle, la rectification factuelle d’un citoyen vigilant. Monsieur Oumar Traoré a eu l’outrecuidance de rappeler que ledit projet datait en réalité de 2017, soit bien avant l’émergence miraculeuse dans un conseil de quartier que notre Maire évoquait avec tant d’assurance.
Si l’on doit reconnaître à Monsieur Sarrabeyrouse le mérite d’avoir « accéléré les choses » – pour reprendre les termes mesurés de Monsieur Traoré – il conviendrait également d’admettre que la genèse du projet précède significativement sa mandature.
L’honnêteté intellectuelle, cette vertu cardinale dont la rareté n’a d’égale que la valeur, commanderait de reconnaître les initiatives antérieures, quand bien même elles seraient le fait de prédécesseurs ou d’opposants.
L’art délicat de la disqualification préventive
Plus préoccupant encore est ce passage sibyllin glissé dans la communication municipale, où sont évoqués « les éternels râleurs et râleuses des réseaux sociaux ». Cette incise révèle une stratégie rhétorique pour le moins singulière : la disqualification préventive de toute critique.
Procédé qui consiste, en droit comme en politique, à récuser par anticipation les arguments de la partie adverse, non sur leur substance, mais sur la qualité supposée de leur émetteur. Cette tactique, que Maître Vergès n’aurait pas désavouée, présente l’avantage considérable de transformer toute objection ultérieure en confirmation de la prémisse initiale.
Ainsi, quiconque oserait questionner l’efficacité du dispositif commercial, la pertinence de son emplacement ou ses modalités d’exploitation se verrait ipso facto catalogué parmi les « râleurs », catégorie dont l’appellation même discrédite le propos avant même qu’il ne soit exprimé.
Inauguration marché des comestibles à la Boissière : la grande parade des élus
La chorégraphie sémantique des élus
Il est frappant de constater la cohérence terminologique entre les propos du maire et ceux du « tumultueux et ténébreux Président de la commission aux marchés des comestibles ». Ce dernier, évoquant « trois années de réflexion, d’échanges et de travail », recourt au même lexique d’un « projet ambitieux, co-construit avec le collectif des habitants ».
Cette convergence sémantique autour des termes « co-construction » et « projet ambitieux » relève moins du hasard que d’une stratégie de communication orchestrée. Quand le maire parle de « co-construction », ne faudrait-il pas entendre « appropriation du travail d’autrui » ? Et lorsqu’il conclut magnanime que « c’est aux habitants maintenant de le faire vivre », ne s’agit-il pas d’un désengagement préventif devant d’éventuelles difficultés futures ?
Ce projet est né de notre démarcher de démocratie impliquante, après un long travail de co-construction de projet.
Pendant ce temps, Jean-Paul Lefebvre replace l’église au milieu du village
Dans ce concert d’autosatisfaction, un silence éloquent plane sur la future halle promise pour le marché aux comestibles, place des Découvertes, projet annoncé en grande pompe en 2023 et dont la réalisation était promise pour 2025. Cette structure, qui devait constituer l’écrin architectural pérenne des étals noiséens, semble avoir disparu des discours comme des perspectives municipales.
Cette évanescence programmatique soulève une interrogation légitime, formulée avec pertinence par Jean-Paul Lefebvre : « Et sinon, où en est le projet de halle pour le marché aux comestibles présenté en 2023 et qui devait être réalisé en 2025 ? » Question qui, étrangement, reste sans réponse des édiles si prompts habituellement à communiquer.
Pour une gouvernance locale empreinte d’humilité
Il serait injuste de ne pas reconnaître l’implication personnelle de notre Maire dans l’inauguration dominicale, honorée de sa présence et de celle d’élus de sa majorité. La concrétisation de ce marché, quelle que soit sa généalogie véritable, mérite d’être saluée comme une amélioration tangible du service rendu aux habitants du quartier de la Boissière.
Néanmoins, une gouvernance locale véritablement exemplaire gagnerait à s’inspirer de cette maxime attribuée à Confucius : « L’homme de bien cherche à être lent dans ses paroles et prompt dans ses actions. »
La reconnaissance des initiatives antérieures, l’hommage rendu aux précurseurs d’un projet, fussent-ils politiquement adverses, et l’humilité face aux réalisations collectives constituent le triptyque vertueux d’une pratique politique respectueuse de la vérité historique et de l’intelligence des administrés.
En définitive, ce n’est pas tant la paternité d’un projet qui importe aux Noiséens que son adéquation à leurs besoins quotidiens. Et si ce marché dominical répond effectivement aux attentes des habitants, la plus belle victoire pour notre édile serait peut-être de laisser ces derniers s’en attribuer le mérite, plutôt que de hâter sa propre glorification numérique.
La municipalité noiséenne pourra-t-elle un jour abandonner cette comptabilité créative, tant financière que politique, qui donne l’illusion de richesses et de réalisations plus substantielles qu’elles ne le sont en réalité ? L’exercice du pouvoir local mérite mieux que ce perpétuel trompe-l’œil.