La déchéance des conseils de quartier

Vendredi 4 avril 2025, école Carnot. Je m’y suis rendu avec l’espoir naïf de participer à ce que l’article 1er de la charte municipale définit pompeusement comme un espace permettant « d’encourager l’accès à la participation démocratique de tou·te·s les habitant·e·s ». Quel ne fut pas mon étonnement de constater que la démocratie participative, telle qu’envisagée par nos édiles, relève désormais davantage du théâtre d’ombres que du forum citoyen.

Premier constat, aussi flagrant qu’un vice de procédure dans un arrêté préfectoral : les conseillers de quartier, ces figures centrales du dispositif selon l’article 5 de la charte, ont été relégués au rang de figurants et totalement transparents. Il m’a été impossible de savoir qui ils étaient dans le public. Ces citoyens volontaires qui, jadis, animaient les réunions, géraient le temps de parole et orchestraient les débats, se retrouvent aujourd’hui aussi inaudibles que le justiciable sans avocat face à la Cour de cassation, sous la férule d’un commissaire politique.

« Le comité s’engage à assurer la continuité du travail du conseil de quartier et la préparation des séances plénières. Il se charge en lien avec la municipalité de la définition de l’ordre du jour, de l’organisation des séances, de la rédaction des comptes-rendus. » – Article 4 de la Charte des Conseils de Quartier

Cette disposition, aussi solennelle qu’ignorée, résonne aujourd’hui comme un vestige d’une époque révolue où l’on feignait encore de croire à la souveraineté citoyenne dans la gestion des affaires locales.

La confiscation magistrale de la parole populaire

Second constat, plus préoccupant encore : l’omniprésence magistrale de Philippe Bouaziz, élu en charge des déchets, qui a monopolisé les débats avec une éloquence inversement proportionnelle à la pertinence de ses propos. À l’ordre du jour figurait le point sur les travaux sans fin du T1, dont la mise en service est encore reportée aux calendes grecques après cinq ans de chantier. Il ressort de cette présentation que la municipalité subit la situation sans pouvoir d’influence auprès du maître d’ouvrage – laissant planer ce sentiment diffus que si nous avions été dans les Hauts-de-Seine, le traitement eût été fort différent.

Cette confiscation de la parole publique s’apparente à une forme subtile de détournement de pouvoir, notion chère à notre droit administratif. On a même pu entendre de la part du public :

« On n’est pas chez Poutine »

Noisy Habitat vendu à prix bradé en échange de la garantie de 60 millions d’euros investis pour la rénovation complète du parc immobilier dans les dix prochaines années

Seule information utile pertinente apprise : Monsieur Bouaziz nous a tout de même gracieusement confirmé que, suite à la braderie de Noisy Habitat à Est Ensemble Habitat, « nous avions bien obtenu les garanties de 60  nécessaires pour garantir les 60 millions d’euros de rénovation promis dans les dix ans à venir ». Une promesse qui, telle une jurisprudence fluctuante, s’appréciera à l’aune de sa réalisation effective, d’autant plus que que EST ENSEMBLE HABITAT n’a aucun fonds propres.

Le maire de Noisy-le-Sec aura-t-il aussi bien négocié son poste d’administrateur à Est Ensemble Habitat que les garanties des 60 millions d’euros promis d’investissement pour la rénovation de ces appartements ? Alors qu’il n’avait pas réussi à leur refourguer le parking des Découvertes !

Ce qui devrait représenter une somme linéaire de 6 millions d’euros par an et ce qui promet dans les 10 ans, l’intégralité du parc immobilier, cédé à un prix pradé de 27 500€/en moyenne pour un logement social de 50 m2 en moyenne (au lieu des 43 000€/moyenne  minimale pour du logement social cédé dans d’autres villes).

J'habite à Noisy

J'habite à Noisy

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Des citoyens sous tutelle d’un commissaire politique

Contrairement à l’esprit de la charte qui prévoit que « le comité de suivi et d’animation prépare les réunions des conseils de quartier selon le principe de la collégialité des décisions« , les habitants se sont retrouvés sous la férule d’élus qui distribuaient la parole avec la parcimonie d’un juge d’instruction accordant un droit de visite. Anne Déo nous a d’ailleurs livré, avec une candeur désarmante, la philosophie de cette municipalité : « On ne sait pas tout, on n’a pas l’expertise, c’est pourquoi on demande à des experts… » Une façon élégante de justifier la lenteur administrative tout en concédant que la consultation citoyenne, pourtant au cœur du dispositif, est d’abord perçue comme un facteur ralentissant.

Dans cette pantomime participative, les questions des habitants étaient systématiquement reformulées, épurées de leur substance critique, puis réorientées vers des considérations techniques. Seule note positive : la confirmation que les espaces végétalisés et les pelouses vertes sont « bien au programme » sur les rails du tramway – maigre consolation face au retard abyssal du projet.


La démoratie participative selon la municipalité communiste de Noisy-le-

La politisation insidieuse de l’espace participatif

Plus inquiétant encore, cette séance a révélé une politisation rampante de ce qui devrait être, par essence, un espace civique neutre. Tel un procureur général, un commissaire politique, instrumentalisant l’action publique à des fins politiques, l’élu a habilement orienté les débats vers la valorisation des actions municipales, transformant ainsi un conseil de quartier en meeting électoral déguisé.

Cette dérive est d’autant plus préoccupante qu’elle s’inscrit dans un contexte où, selon l’article 1er de la charte, les conseils de quartier devraient « participer pleinement aux projets des quartiers en y incluant des débats visant à orienter la politique de la municipalité« . Or, comment orienter une politique lorsque celle-ci vous est servie comme un plat déjà cuisiné, sans possibilité d’en modifier les ingrédients?

Philippe Bouaziz - Extrait

Philippe Bouaziz - Extrait

Conseil Municipal 30/01/2025

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Pour une restauration de l’esprit des conseils de quartier

Face à cette dérive institutionnelle, il devient impératif de rappeler à nos édiles la lettre et l’esprit de la charte qu’ils ont eux-mêmes adoptée. Si l’article 8 engage la municipalité à « mettre à disposition des conseils de quartier les moyens nécessaires à leur fonctionnement« , ces moyens ne sauraient se limiter à une salle et quelques chaises, ni à la promesse d’une déambulation dans les rues pour aller admirer des bacs à poubelles, conclusion rocambolesque proposée par Philippe Bouaziz.

La véritable ressource dont les conseils de quartier ont besoin est l’espace démocratique — cet intervalle précieux entre la parole citoyenne et l’action publique où peut s’élaborer une vision partagée de l’intérêt général. Confisquer cet espace, c’est réduire la démocratie participative à une simple chambre d’enregistrement des décisions déjà prises.

« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. » – Albert Camus

En matière de démocratie locale, la vraie générosité consisterait à rendre aux citoyens ce qui leur appartient de droit : la capacité d’influencer réellement les décisions qui affectent leur quotidien.

Cette prolifération de conseils de quartier, commissions extra-municipales, concertations d’habitants, recours à des étudiants stagiaires et validations par d’autres instances révèle, en filigrane, une inquiétante dévalorisation de la fonction d’élu.

Qu’advient-il du mandat représentatif lorsque l’édile lui-même concède qu’il « ne sait pas tout » et qu’il faut « demander aux experts » ? Cette dilution de la responsabilité politique dans l’océan participatif interroge : ces dispositifs servent-ils vraiment l’intérêt général ou ne constituent-ils qu’un subterfuge procédural pour justifier l’inaction municipale ? À défaut d’une réponse claire, nos conseils de quartier continueront de ressembler à ces juridictions d’exception où le verdict est connu avant même l’ouverture des débats et qui ne servent qu’à des fin d’auto-congratulation municipale.

Notes de bas de page

  1. NB : Le présent article se fonde sur les dispositions de la Charte des Conseils de Quartier 2021-2026 de Noisy-le-Sec, document public consultable par tout citoyen soucieux de l’application effective des principes démocratiques qu’il contient.